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Histoire de Sciences Pipo
--> ...Et moi qui veut faire science-po
==>>http://cnud.ouvaton.org (Sud etudiants Sciences po)
Du haut du 27 de la rue Saint-Guillaume, plus de cent trente ans vous contemplent. Vous ne savez pas exactement ce qui s'est passé à Sciences po avant que vous n'y arriviez, et pourtant vous portez le poids de son passé, condensé dans une mixture peu ragoûtante appelée "prestige". Un illustre établissement a nécessairement un glorieux passé, se dit-on. Enfin, ça dépend des goûts… L'école de la bourgeoisie Remettons-nous dans l'ambiance : 1871, la France s'est mangé une méchante déculottée contre la Prusse ; on y voit la victoire d'un peuple qui maîtrise mieux les sciences, on accuse l'indigence du système universitaire français. 1871, on a proclamé la République et le suffrage universel (masculin…). 1871, c'est la Commune, insurrection parisienne démocratique et socialisante. On connaît la fin : aidés par Bismarck, les Versaillais sous la conduite d'Adolphe Thiers massacrent un quart de la population ouvrière parisienne et en emprisonnent un autre quart. Bienvenue dans la République. La même année, un jeune bourgeois de 35 ans, "éclairé" et branché (il est de tous les salons), auteur d'une Philosophie de l'architecture en Grèce, se met en tête de fonder une institution d'enseignement supérieur qui initierait ses étudiants aux problèmes du temps, afin d'en faire des « directeurs intermédiaires de l'opinion ». Emile Boutmy (c'est son nom, et celui de l'amphi du rez-de-chaussée) veut former des experts en choses "politiques et sociales" qui soient des dirigeants posés et sereins, étrangers aux excès de la populace. "Ne faut-il pas créer l'élite qui de proche en proche donnera le ton à toute la nation ? Refaire une tête au peuple, tout nous mène à cela." Il nous faut le "gouvernement par les meilleurs". Les bases du projet anti-démocratique de Sciences-Po sont posées. Et qui sont ces "meilleurs" à qui le pouvoir doit être confié ? Comme par un heureux hasard, on les déniche dans les classes dominantes, ce qui dispense de former les classes dominées. Il serait peut-être plus juste de prendre le raisonnement d'Emile Boutmy à l'envers : plutôt que de prétendre former une aristocratie supérieurement capable de diriger en sélectionnant les "meilleurs", il faut dire que l'Ecole que veut fonder Boutmy aura pour objectif de légitimer l'aristocratie existante en parant ses membres de cette qualité de "meilleurs". Mimile lui-même le reconnaît plus ou moins : "Contraintes de subir le droit du plus nombreux, les classes qui se nomment elles-mêmes les classes élevées ne peuvent conserver leur hégémonie politique qu'en invoquant le droit du plus capable. Il faut que, derrière l'enceinte croulante de leurs prérogatives et de la tradition, le flot de la démocratie se heurte à un second rempart fait de mérites éclatants et utiles, de supériorité dont le prestige s'impose, de capacités dont on ne puisse se priver sans folie." Comme c'est beau. Jouant de ses réseaux, bénéficiant de l'appui de supporters et donateurs aux noms illustres (Hippolyte Taine, la famille Leroy-Beaulieu) Boutmy exauce son rêve : au mois d'avril 1872, l'Ecole Libre des Sciences Politiques est solennellement née. "Libre" ? Eh oui : amoureux de l'initiative privée "hardie, active et souple", Mimile fonde une Ecole résolument pas publique. En 1872, alors que l'université publique n'a rien de folichon et demeure sous tutelle partielle de l'Eglise, on le comprend. Mais, que ce soit en 1876, 1881 ou 1936, à chaque fois qu'un projet voudra faire passer Sciences po sous contrôle (au moins partiel) de l'Etat, l'Ecole Libre saura repousser les assauts étatistes, notamment grâce à ses amitiés politiques. Certaines traditions ont la vie dure. Les relations, indubitablement, c'est ce qui fait la force de l'Ecole Libre. Elles sont nombreuses, car l'Ecole est florissante : elle s'est rapidement arrogée un monopole de fait sur la préparation aux grands concours administratifs. Autrement dit, dès la fin du XIXè siècle, une bonne partie du personnel administratif et politique de la République est issu de Sciences po ; alors voter une loi pour saborder sa maison d'adoption… Privée, l'Ecole Libre se contrefout encore plus que le reste du système éducatif de l'égalité des chances : les droits d'inscription sont plus qu'onéreux, et aucune bourse n'est octroyée avant 1937 (et encore, il ne s'agit que de 60 bourses d'étude pour 1700 élèves). L'horreur des communistes : Sciences po nationalisé ? Sciences po outragé, Sciences po brisé, Sciences po martyrisé, mais Sciences po libéré : voilà les paroles de soulagement qu'auraient pu proférer les héritiers et tenants de l'Ecole Libre après la terrible bataille de 1945. Les communistes désormais plus que puissants demandent une nationalisation qui serait aussi une sanction envers une institution jugée complaisante à l'égard de l'occupant. De ce côté, on accuse Sciences po de collaboration et de complicité avec Vichy. De l'autre, on se défend en prétendant que Sciences po a été un foyer de résistance. Il semble en fait qu'il n'y ait pas eu de collaboration active, non plus qu'il y ait eu une résistance formidable ; simplement, Sciences po s'est efforcé de survivre sous l'Occupation, avec tous les compromis et contraintes que cela supposait. La gauche veut que Sciences po soit démocratique dans son organisation et son recrutement, et il faut que l'Ecole soit "nationale". En face, les chefs de Sciences po, qui voient bien que la nationalisation est inévitable mais qui vont tout faire pour rester les chefs, et les démocrates-chrétiens du MRP, attachés à l'enseignement privé. Quant à de Gaulle, il veut y aller mollo mais rapido, soutenu principalement par les démocrates-chrétiens, et voulant en finir avant un possible raz-de-marée communiste aux élections. Finalement, l'Ecole Libre des Sciences Politiques devient l'Institut d'Etudes Politiques, institut universitaire public ; mais, puisqu'à Sciences po il faut toujours tempérer avec une seconde partie, cet IEP est géré par la toute nouvelle Fondation Nationale des Sciences Politiques, qui est privée. En fait cette seconde partie ne fait pas que tempérer la première, elle la vide de tout sens : l'IEP public reçoit ses sous d'un organisme privé, l'exceptionnalité de Sciences po au sein de l'enseignement supérieur lui permet de préserver la place qui était la sienne depuis 1872. Le personnel ne change pas, la FNSP passe aux mains des anciens de l'Ecole Libre, et voilà le fantôme du Mimile qui sourit, goguenard, sous une dalle de la Péniche. La nationalisation en trompe-l'œil de Sciences po se double de la création de l'Ecole Nationale d'Administration : originellement perçue par les mandarins de Sciences po comme une menace, l'ENA renforce en réalité l'IEP, rapidement considéré comme le tremplin obligé vers l'école des technocrates. Sciences po, ou la continuité dans la continuité D'accord, aujourd'hui, Emile Boutmy ferait rire tout le monde. Pourtant, son héritage est pesant, même si on le revendique en termes plus feutrés, avec une croyance moins affichée dans le bon droit de la bourgeoisie à diriger les masses, et une plus grande insistance sur la légitimité du gouvernement des meilleurs, mais accompagné d'une démocratisation de l'accession à l'élite. Et les piliers principaux du projet de Sciences po restent les mêmes : La saine croyance dans le libéralisme économique. Sciences po est dans la première moitié du XXe siècle le promoteur inlassable du laissez-faire. Après guerre, l'Institut se laisse vaguement emporter par la déferlante technocratique dirigiste qui accuse les vieilles thèses libérales de la faible croissance passée de la France. Puis, avec le retour en grâce du libéralisme, l'IEP se remet vite à la page et vante un libéralisme de bon aloi, légèrement régulé, qui ne peut être que favorable à la croissance voyons pensez-vous. Le manque d'ouverture sociale. Depuis Boutmy, les choses ne se sont pas franchement arrangées : l'IEP compte 80% d'étudiants dont un des parents au moins est "cadre ou profession intellectuelle supérieure" (alors que cette catégorie représente 12% de la population active). Et ce ne sont pas les quelques poignées d'étudiants issus de ZEP qui vont y changer grand chose… Quant au quadruplement annoncé des droits d'inscription même si tous ne devront pas les payer, on imagine ses effets multiples de blocage de la démocratisation sociale du recrutement : financement de l'école par les étudiants issus des classes supérieures, donc effet désincitatif sur l'ouverture sociale, sous peine de diminution des recettes ; effet psychologique sur les futurs candidats les plus pauvres devant la perspective de payer 4000 euros par an ; possible discrimination, en tout cas malaise, entre les étudiants qui raquent et les autres… L'élitisme imbécile qui agite encore nombre de cerveaux sciences potards. Et n'allez pas croire qu'il est l'apanage des seuls attardés de l'UNI. Cœur le plus secret du temple scolaire, Sciences po est censé donner à la fois des connaissances techniques et une largeur de vues qui justifient la prééminence politique, économique et sociale de ceux qui y sont passés. En réalité, le plan en deux parties habille de vitalité et de pondération la sclérose intellectuelle qui règne de la Chaise aux Saints-Pères. Vous découvrirez bien vite que ce qui s'enseigne ici, sous le pudique vocable de « culture générale », est le plus souvent un succédané de connaissances qu'il s'agit d'agrémenter habilement d'un ersatz de réflexion ; en bref, un vernis de légitimation pour dominant en mal de respectabilité. A noter que la tradition, toujours respectée depuis 1872, veut que le directeur en place désigne son successeur : vivent les dynasties ! Depuis 1945 on a eu droit, dans l'ordre, à l'historien Jacques Chapsal, qui a laissé sa place en 1979 à Michel Gentot, énarque ayant fait carrière au conseil d'Etat, aujourd'hui président de la Commission nationale de l'informatique et des libertés ; celui-ci a été remplacé en 1987 par Alain Lancelot, membre du conseil constitutionnel jusqu'en mars 2001, aujourd'hui retraité après une vie dédiée à la multiplication des cartes, des titres et des métiers ; en partant le bon Lancelot a laissé son trône au Roi Richard (que les manants qui n'ont pas le privilège de faire partie de sa Cour appellent M.Descoings), conseiller d'Etat, aujourd'hui encore directeur de l'IEP de Paris (plus pour longtemps ?) et principal artisan de ses récentes réformes mégalomanes destinées à faire de Sciences po le lieu de production des élites mondiales. A qui le tour ? Le blues du blason L'avez-vous remarqué ? Sciences po s'offre le luxe snob d'avoir ses armoiries, que vous retrouverez aussi bien sur le fronton du 27 que sur les brochures de l'Institut. Un lion et un renard qui se font face, comme c'est mignon se dit-on d'abord, c'est comme si Le roi lion discutait le bout de gras au Basile avec Rox et Rouky. Pourtant la référence revendiquée du blason est moins gentillette : chez Machiavel, le Prince se doit d'être à la fois lion et renard, il doit savoir user de la force comme de la ruse. A condition que le Prince soit un stratège politique efficace, peu importe qu'il soit un sombre crétin qui s'accroche par tous les (pires) moyens à son trône. Comme quoi les directeurs de Sciences po en ont parfaitement saisi l'esprit… Ecrit par Skipp', le Dimanche 9 Octobre 2005, 11:33 dans la rubrique "@ctualité".
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