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Taxe humanitaire pour l'Asie
--> Par Jacques Nikonoff président d'Attac-France.
Il faut soigner d'abord et comprendre ensuite», disait Albert Camus dans la Peste. Tel est en effet l'objectif à atteindre d'urgence face à la tragédie en Asie. Oui, il faut donner ! La générosité publique aidera ceux qui en ont besoin et lavera la honte qu'inspire l'attitude de la plupart des gouvernements.
Mais est-ce suffisant ? Nous devrions sérieusement méditer sur les hypocrisies de l'époque. Et agir en conséquence. Quelque chose, en effet, ne va pas : cette catastrophe hors de toute mesure n'est pas pensée. Réduite à une comptabilité et à des images macabres, elle est présentée comme une fatalité du destin justifiant toutes les impuissances présentes, passées et futures des autorités publiques nationales et internationales. Quelques vérités semblent bonnes à rappeler. D'abord, acceptons d'admettre que les morts d'un jour valent les morts de tous les jours. Certes, la démesure du séisme, sa soudaineté, sa localisation géographique, la symbolique biblique du déluge qu'il portait au moment des fêtes ne pouvaient qu'entraîner le choc et l'émotion. Mais n'oublions pas ceci : chaque jour, selon la Food and Agricultural Organization (FAO), à cause de la faim et de la malnutrition, la mort fauche 25 000 vies, principalement des enfants. Rappeler cette réalité ne vise nullement à relativiser la tragédie de l'Asie. On ne peut pas subir, chaque jour, un choc émotionnel d'une même intensité pour des drames diffus, atomisés sur l'ensemble de la planète, résultant d'une lente agonie, difficiles à traduire en scoop d'images médiatiques. Peut-être ces affamés pourraient-ils consentir, pour leur propre bien, à un effort supplémentaire et se mettre d'accord pour disparaître le même jour ? Le total fait 9 millions : record toutes catégories. Alors seraient sans doute réunis les 40 milliards de dollars nécessaires annuellement, afin de réaliser et de maintenir l'accès universel à l'éducation de base, à l'eau potable et à des infrastructures sanitaires, ainsi que, pour les femmes, aux soins de gynécologie et d'obstétrique. Reconnaissons, ensuite, que l'aide annoncée par les gouvernements et les instances internationales est ridiculement dérisoire. Le vendredi matin du 31 décembre, 500 millions de dollars avaient été réunis, alors que l'ONU estime les besoins à plusieurs milliards. Les Etats-Unis ont annoncé le 28 décembre 35 millions de dollars. Par comparaison, M. Bush vient de demander au Congrès américain une rallonge budgétaire de 80 milliards de dollars pour financer la guerre en Irak, qui en coûte 150 millions par jour. La France, avec 40 millions d'euros d'aides versées, n'est pas en mauvaise position. Nous ne pouvons que nous réjouir de constater qu'ainsi notre pays va dépasser la somme engloutie pour le sacre de M. Sarkozy à la tête de l'UMP (12 millions). Cependant, et sans vouloir faire injure aux amateurs de football, on remarquera que l'achat de l'exclusivité des droits de rediffusion du football français par Canal + a coûté 600 millions d'euros à cette chaîne. En outre, l'instrumentalisation politique de la tragédie est désormais lancée. La concurrence, ce principe fondateur de l'idéologie néolibérale, s'est même étendue à l'aide humanitaire. Nous assistons à une sorte d'enchères, chaque pays voulant, dans des limites évidemment «raisonnables», ne pas donner le moins, et chaque jour annonce une nouvelle offre. Certes, ces aides, dont on ne doute pas qu'elles viennent du fond du coeur, vont probablement grossir, et c'est tant mieux. Mais, sauf mobilisation populaire, elles resteront très loin des besoins. Et l'Europe ? Où est l'Europe ? Un obscur factotum a annoncé, dans un premier temps, une aide de 3 millions d'euros, puis 30 autres se sont ajoutés. Il est vrai qu'un des articles du traité constitutionnel stipule que «le budget de l'Union est, sans préjudice des autres recettes, intégralement financé par des ressources propres». Cela signifie que l'Union européenne, contrairement aux particuliers, aux entreprises et aux Etats, ne peut emprunter. Or l'emprunt permet l'investissement dans les grands travaux d'infrastructures publiques, que ce soit en Europe ou au titre de la solidarité internationale. Cette castration politique de l'Europe, dont nous avons aujourd'hui un exemple emblématique, ne peut que renforcer la détermination à assurer le succès du non lors du référendum sur le traité constitutionnel. Et le marché ? Où est le marché ? Car cette interdiction faite à l'Europe d'emprunter pour investir dans les équipements publics a été décidée au nom du marché. On nous explique en effet, ad nauseam, que le libre jeu des marchés, sans entrave, et particulièrement dans le domaine de la finance, permettrait une «allocation optimale des ressources». Si c'était vrai, nous aurions dû voir affluer en Asie, immédiatement et spontanément, des masses de capitaux une sorte de tsunami financier pour aider au redressement de la région. Hélas ! Hélas ! Les morts, les blessés et les sans-abri ne sont pas solvables, et aucun capital ne pourra fructifier dans ces conditions. Dans les grands moments, ceux qui façonnent la collectivité humaine, le marché est toujours défaillant. C'est bien la volonté politique qui compte, et c'est elle que la mobilisation populaire doit restaurer. D'autant que pendant le drame, les affaires continuent. Aucune morale, aucune retenue, aucune décence n'est de mise, c'est business as usual. Certes, les tsunamis ont tué des dizaines de milliers de personnes, dévasté des pays entiers, mais les Bourses d'Indonésie et d'Inde battent des records, portées par un climat économique jugé favorable. Selon Eddie Wong, analyste en chef pour l'Asie chez la banque ABM Amro : «Les dommages subis par les bons hôtels ne semblent pas graves et il y a aussi des gagnants en termes économiques, tels que les producteurs de ciment.» On pourrait ajouter aussi les cercueils ! Alors voici une idée d'action immédiate : fermez d'urgence vos comptes bancaires chez ABM Amro, si vous en avez, et transférez-les à la Poste, tant qu'elle existe encore ! Devant cette nouvelle faillite des élites mondialisées, la mobilisation des citoyens et des peuples pourrait s'organiser autour de cinq objectifs : un prélèvement fiscal mondial exceptionnel préfigurant une véritable fiscalité mondiale ; l'augmentation de l'aide publique au développement ; l'annulation de la dette publique des pays pauvres concernés par la catastrophe ; la coordination internationale des services publics pour reconstruire les pays dévastés ; la mise en place dans la région de systèmes d'alerte des catastrophes. Concernant les taxes globales, il est évident que leur mise en place demandera des années. Sans attendre, un prélèvement exceptionnel pourrait être décidé par la communauté internationale ou, par défaut, par l'Union européenne. Il pourrait correspondre, pour donner un exemple concret, à 0,05 % de la capitalisation boursière mondiale (nombre d'actions cotées en Bourse à l'échelle mondiale, multiplié par la valeur de ces actions) qui s'élevait, fin 2002, à 20 000 milliards d'euros. Un tel prélèvement exceptionnel rapporterait 10 milliards d'euros. Personne ne pourra croire qu'il mettra les actionnaires à genoux et qu'il suscitera la panique sur les marchés financiers. Prenons l'exemple d'un actionnaire de l'entreprise Renault. Le 31 décembre 2004, l'action cotait 61,55 euros. Avec le prélèvement de 0,05 %, ledit actionnaire versera 3 centimes d'euro ! Ainsi les marchés financiers seront-ils punis (modestement) par là où ils ont fauté. Ils sont en effet responsables de la crise financière qui s'est abattue sur l'Asie en juillet 1997. En quelques mois le chômage était multiplié par 4 en Corée, par 3 en Thaïlande, par 10 en Indonésie : 12 millions de chômeurs supplémentaires dans la région. La cause de cette crise ? Une libéralisation «au pied de biche» des marchés financiers dans ces pays, sous l'impulsion du Fonds monétaire international, qui a attiré des masses de capitaux spéculatifs. Oui ou non, l'hypocrisie des bons sentiments va-t-elle cesser, et laisser la place aux vraies mesures susceptibles de répondre aux vrais problèmes ? Ecrit par Skipp', le Jeudi 6 Janvier 2005, 17:43 dans la rubrique "@ctualité".
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