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Dissertation : Tradition et rupture

I - ANALYSE DU SUJET

La dissertation pose la question de la nouveauté en poésie : les poètes doivent-ils imiter leurs prédécesseurs ou au contraire se rebeller contre eux ? Le corpus offre des réponses contradictoires : Boileau penche pour le "oui", Rimbaud et Hugo pour le "non". Le candidat peut donc facilement en déduire les idées principales : oui, la poésie doit imiter la tradition ; mais, la poésie, c'est aussi une large part de création, et donc de révolte contre cette tradition. En d'autres termes, un juste équilibre est peut-être à trouver entre continuité et rupture.

II - LES REACTIONS A CHAUD DU PROFESSEUR

Le sujet est sans surprise. l'objet d'étude sur la poésie en classe de première invite en effet à étudier plutôt les poètes des XIXe et XXe siècles. Les élèves auront donc sans doute évoqué la question de la modernité et, en même temps, celle de la rupture avec la tradition. Par ailleurs, le corpus offre une réponse intéressante et relativement complète à la question posée par le sujet. Si les candidats ont traité avec sérieux la question de lecture à 4 points, ils sauront facilement opposer Boileau et son respect de la langue à Hugo et Rimbaud, qui en appellent à la révolution ou au progrès. Il leur restera ensuite à mobiliser leurs connaissances pour apporter des exemples personnels.

III - UN TRAITEMENT POSSIBLE DU SUJET

A - LA POESIE COMME HERITAGE DES POETES PRECEDENTS.

1. L'héritage de la langue
Les poètes travaillent avant tout sur la langue : en ce sens, ils utilisent tous un patrimoine commun, celui que des siècles et des siècles ont construit patiemment. Boileau parle de "langue révérée" ou "sacrée". Il interdit ainsi le "pompeux barbarisme", c'est-à-dire l'invention de mots nouveaux. Il interdit aussi "l'orgueilleux solécisme", c'est-à-dire les incorrections syntaxiques. Le langage poétique est donc avant tout un langage correct, conforme à l'usage.
Hugo, même si c'est sur le mode ironique, rappelle cette vocation de la poésie. Certains mots sont jugés "nobles", ils peuvent entrer dans le domaine poétique : azur, firmament ou éther par exemple pour désigner le ciel. Au contraire, d'autres, "tas de gueux, drôles patibulaires", sont évidemment bannis de la poésie : ceux qui viennent du "patois" ou de "l'argot".
Certains outils semblent donc indispensables aux poètes : les dictionnaires, évoqués par Hugo et Rimbaud, les ouvrages de grammaire, comme celui de Vaugelas cité par Hugo. L'Académie Française, quant à elle, se porte garante de ce qui est ou n'est pas poétique. Ajoutons les textes théoriques : La Poétique d'Aristote citée par Hugo, ou L'Art poétique de Boileau auxquels se réfèreront grands nombres de poètes du XVIIIe siècle.
Dans une telle perspective, les auteurs sont alors classés par catégories : le bourgeois Molière, mais le grand Racine... Ils constituent alors des modèles à suivre ou à proscrire.

2. L'héritage des anciens
La réalité est plus nuancée. De façon générale, tous les poètes sont de grands lecteurs nourris de leurs prédécesseurs, qu'ils soient jugés honorables ou non par les institutions. Au XVIe siècle, les poètes de la Pléiade sont nourris de Pétrarque, leur prédécesseur italien. Tous les poètes de la deuxième moitié du XIXe siècle sont quant à eux nourris de leurs prédécesseurs romantiques. Cette influence inévitable peut prendre la forme de l'imitation : Ronsard ou Du Bellay reprennent la forme et les thèmes amoureux pétrarquistes. Elle peut aussi prendre la forme de la dédicace ou de l'hommage. Baudelaire dédie ses Fleurs du Mal à Gautier et certains de ses poèmes à Hugo. Rimbaud, dans ses lettres dites du voyant, salue en Hugo ou Baudelaire les premiers grands voyants. Les surréalistes rendent hommage à Lautréamont selon eux injustement méconnu.
La conséquence est que certains thèmes, fatalement, se retrouvent au fil des siècles chez presque tous les poètes: la fuite du temps, l'amour, la mort pour ne citer que les plus courus.
Mais cette continuité thématique est-elle vraiment le résultat d'un héritage légué de génération en génération, ou de préoccupations universellement partagées ? En d'autres termes, la tradition est-elle aussi présente que certaines apparences ou certains textes dogmatiques pourraient le laisser croire ?

B - LA CREATION POETIQUE COMME REBELLION CONTRE L'HERITAGE DES POETES PRECEDENTS.

1. Les formes de la "rébellion".
En fait, la présence des fantômes passés peut être paralysante pour des poètes qui veulent avant toute chose créer : ne parle-t-on pas de "création poétique" ?. Ainsi, certains de ses contemporains appelaient Hugo, malgré toute l'admiration qu'ils lui vouaient, "le père Hugo", tant sa plume féconde, tout au long du siècle (rappelons qu'il est né en 1802 et mort en 1885 !), se fit écrasante, (elle toucha à tous les genres, tous les registres), et donc autoritaire. La rébellion consiste alors à tuer symboliquement le père, quel qu'il soit, en s'affranchissant de ses lois. Hugo, qui doit lui aussi tuer ses prédécesseurs, veut faire "souffler un vent révolutionnaire", "une tempête au fond de l'encrier" ! Rimbaud, quant à lui, voit le poète comme "un multiplicateur de progrès" !

Cette révolution en marche prend des formes variées. Elle touche d'abord à la langue révérée par Boileau. Hugo édicte ainsi une nouvelle déclaration des droits de mots : ils sont tous "égaux, libres, majeurs". En d'autres termes, tous ont leur place en poésie, même le mot "cochon" ! Rimbaud recourt ainsi à de multiples néologismes (que Boileau nommerait "barbarismes"...) : "patrouillotisme", "pioupiesque", "viride". Il recourt aussi à des mots grossiers : "merde", "putain", etc. Mallarmé, lui, s'attaque plus volontiers à la syntaxe, malmenant l'association ordinaire des mots jusqu'à l'hermétisme. Ainsi, dans son poème "Une Dentelle" :

   "Mais chez qui du rêve se dore
   Tristement dort une mandore
   Au creux néant musicien
 
   Telle que vers quelque fenêtre
   Selon nul ventre que le sien
   Filial on aurait pu naître"

Apollinaire, au moment de publier Alcools, décide de supprimer tout signe de ponctuation ! N'oublions pas tous ceux enfin qui vont toucher au vers : les auteurs de poèmes en prose comme Alyosus Bertrand ou Baudelaire ; ceux qui, au XXe siècle, vont choisir le vers libre loin de toute contrainte de rimes ou de métrique.
La révolution peut se faire plus dure encore avec les tenants de l'ordre établi : on pense aux parodies des poètes traditionnels faites par Verlaine, Queneau et tant d'autres. On pense à l'objectif provocateur de Baudelaire : en finir avec les "provinces fleuries" de la vieillerie poétique et "extraire la beauté du mal". On pense enfin à l'ironie virulente dont fait preuve Rimbaud dans l'extrait proposé : "il faut être académicien - plus mort qu'un fossile, pour parfaire un dictionnaire".
Finalement, la poésie devient un espace extraordinaire de liberté, et partant de création.

2. La part de la "création".
Or, créer, c'est inventer. C'est bien ce qu'écrit Rimbaud : trouver "des choses étranges, insondables". Baudelaire rêve "des fleurs nouvelles" ("L'Ennemi") et souhaite aller "au fond de l'inconnu pour trouver du Nouveau" ("Le Voyage"). Les poètes n'hésitent pas à inventer une langue, comme on l'a vu avec Rimbaud ou Mallarmé. Ils renouvellent aussi leur inspiration. Ainsi des thèmes jusque-là bannis de la poésie sont-ils privilégiés par les poètes de la modernité : la vie quotidienne des travailleurs (Baudelaire dans "Le Vin", Queneau dans "L'homme du tramouais" ("Tramway" est transcrit phonétiquement), la banalité d'un morceau de pain ou d'une huître dans "Le Parti pris des choses" de Francis Ponge. Nul doute que Boileau, devant tant d'audace, aurait crié au scandale...
Mais dénigrer cette part de liberté, c'est oublier que la poésie est aussi l'expression d'une subjectivité, et donc nécessairement un acte original. Les deux voies, celles de l'hommage et de la révolte, sont donc possibles. Elles sont même indissociables : les poètes s'inscrivent toujours dans la tradition, même quand ils ne la respectent pas. On a beau vouloir tuer le père, on ne cesse jamais de l'aimer.

IV - LES ERREURS A EVITER

Le sujet ne présentait pas de difficulté particulière ou de piège tendu au candidat. Le seul danger consistait à ne pas prendre en compte les deux réponses possibles (oui et non) et à limiter les exemples à ceux du corpus.